THE THING de John Carpenter


Tout le monde à un film d'horreur préféré, "the" film qui nous a mis le trouillomètre à zéro, qui nous a fait regarder ailleurs l'espace de quelques secondes tant la tension, la terreur ou le gore devenait trop. Pour certain, c'est "L'exorciste", ou bien "Massacre à la tronçonneuse", "La dernière maison sur la gauche", "Zombie", "Evil dead" (ou bien d'autres encore) mais pour moi c'est "The thing" de John Carpenter, deuxième adaptation d'une nouvelle de John Campbell après celle de Christian Niby produite par Howard Hawks en 1951. Aujourd'hui, je le regarde régulièrement, sans ressentir à un même niveau cette trouille qui m'a submergé lors de sa première vision (mercredi 3 novembre 82, à la première séance de 14h !), mais vraiment par pur plaisir, à chaque fois tétanisé par le déroulé imparable de son scénario et de son ambiance glaçante, ainsi que  par ses qualités techniques et visuelles...Et à chaque fois, je tombe dans le panneau !
Alors que la majorité des films d'horreur doivent en passer par une phase d'introduction plus ou moins longue afin d'installer les enjeux et et de présenter les personnages, "The thing" lui, ne prend pas de gants et fonce droit au but; sitôt la séquence d'introduction pré-générique passée (l'arrivée d'un ovni sur terre) le spectateur est plongée en Antarctique, au milieu d'une couse-poursuite entre un hélicoptère et un chien de traineau pas si apeuré que ça et cavalant droit sur un lotissement visible à l'horizon; le tireur fou et son pilote, des norvégiens d'une base voisine, sont très vite éliminés et le chien recueilli par la douzaine d'habitants en charge de  cet avant-poste scientifique américain.

En une poignée de minutes, Carpenter pause son film : le mal est là, dans la place, pour l'instant sous la forme d'un banal husky. Le réalisateur ne veut pas étirer la première partie de son récit dans une banale et prévisible présentation des personnages et des enjeux, mais au contraire l’accélère afin d'installer au plus vite le climat de paranoïa  et d'angoisse qu'il a concocté : une rapide visite chez les norvégiens nous apprend qu'ils sont morts, tués ou suicidés, et que tout ceci est due à la découverte d'un étrange vaisseau spatiale et de son occupant, tous deux emprisonnés dans la glace depuis plusieurs dizaines de milliers d'années. Puis c'est la transformation du husky en une créature protéiforme agressive. Et la terrible réalité de se révéler : la "chose" peut prendre l'apparence de n'importe quel être vivant, qu'il soit humain ou animal. Les scientifiques vont devoir déterminer qui parmi eux a été infecté par la Chose, et tenter de la détruire.
Même si la première apparition de la chose sortant du chien est déjà violente et effrayante, elle n'annonce en rien le spectacle purement hallucinant qui suit : Norris, en proie à une crise cardiaque, voit son corps littéralement s'ouvrir en deux puis éclater pour révéler les mâchoires, tentacules et autres appendices qu'il recèle, et sa tête se détacher de son cou pour s'échapper, dans un premier temps en se tractant avec sa langue démesurée, puis sur pattes après qu'elles soient sorties sur les cotés ! Carpenter ne cache rien de cette transformation qui relève du jamais vu en la tournant sous une lumière crue, et n'épargne pas le spectateur en la filmant en gros plans précis et détaillés (reprenant là les choix cinématographiques de John Landis lorsqu'il filma la transformation de David Naughton en loup-garou dans "Le loup-garou de Londres"). Cette envie de tout montrer avec force détails n'est pas là uniquement pour magnifier le talent incroyable du génial Rob Bottin en matière d'effets spéciaux (il n'avait que 22 ans à l'époque, et finit le tournage sur les rotules, hospitalisé pour épuisement !), mais bien pour effrayer totalement le spectateur. Un pari largement réussi, la scène étant depuis rentré au panthéon des visions les plus cauchemardesques jamais montrées sur un écran à cette époque. On en est qu'au premier tiers du film, et déjà, Carpenter a dépassé en innovation cinématographique et en horreur bon nombre de ces confrères.
 

Tout le monde ayant compris la nature même du mal qui les assaille, la paranoia s'installe et une seule question se pose : qui est contaminé ? McReady étant le plus solitaire du groupe, il est très vite suspecté et échappe de peu à une mort certaine lorsqu'il est abandonné dehors, là ou règne un froid mortel; mais il parviendra à revenir, et dorénavant armé, va contraindre les survivants à tester leur sang. Là réside le deuxième tour de force de Carpenter : après avoir choqué les spectateurs par une horreur frontale et démonstrative, il joue (encore plus) avec leurs nerfs dans une séquence pétrifiante, qui voit McReady chauffer un fil électrique, puis le plonger dans les éprouvettes ayant servi à recueillir les échantillons de tissus. Le réalisateur, en alternant plans larges et gros plans dans une montée en suspens d'anthologie, livre là une scène absolument tétanisante qui débouche à nouveau sur une démonstration particulièrement gore et gratinée des aptitudes de la Chose à réduire en bouillie les corps qu'elle imite : après avoir propulsé Palmer au plafond, elle émerge de son corps, sa tête scindée en deux dans le sens de la hauteur, et avale littéralement la tête de Windows !
Carbonisée au lance-flamme par McReady, la Chose parvient à s'enfuir, clôturant ainsi la deuxième partie du film. Carpenter a fait subir paranoïa, horreur, épouvante et mort à une partie de ses héros, et s'attaque maintenant à la dernière partie de son film : la chasse. La tempête fait rage dehors et rend impossible les communications avec d'éventuels secours, laissant peu d'espoir de survivre plus que quelques heures. Se sachant condamnés, les quelques survivants prennent le taureau par les cornes et se décident à pourchasser et annihiler la Chose dans une ultime tentative qui a tout de suicidaire. Et c'est à la dynamite qu'elle sera détruite, ainsi que l'habitat qui pouvait les protéger, McReady et Childs sortant seuls vainqueurs de la dernière confrontation. Ils se retrouvent dans les débris fumants de la station, et le film se clôt sur leur dernier échange, une dernière interrogation commune : sont-ils toujours humains, ou bien ont-ils été infecté, à leur insu peut-être, par le monstre ?
 



Ainsi donc Carpenter achève son long métrage de la plus noire des façons, en n'offrant aucun échappatoire à ses héros, qui mourront soit de froid soit des derniers soubresauts de la Chose qui sommeille peut-être en eux. A bien y regarder il n'a d'ailleurs jamais donné d'espoir aux spectateurs; les norvégiens eux non plus n'avaient pu survivre au monstre qui les avait décimé en quelques heures, et les tests menés par les scientifiques avaient clairement annoncé la couleur : chaque cellule de la Chose est autonome et indépendante, capable de se régénérer même après avoir subi le froid ou le feu. En bref, Carpenter et son scénariste Bill Lancaster (fils du grand Burt) ont écrit là un déroulé implacable, et nient dès le début du film toute possibilité d'une fin heureuse, assumant leurs choix jusqu'à la dernière seconde. Combien de films peuvent ainsi afficher cette intention quasi dès la première bobine et s'y tenir jusqu'au bout, alors qu'en général une porte de sortie est dégainée souvent maladroitement à quelques minutes de la fin ? Aujourd'hui encore, il est difficilement concevable qu'un grand studio comme Universal est validé un scénario aussi sombre, est donné les coudées franches à un réalisateur dont c'était le premier film de studio, le tout pour un tournage dans des conditions extrêmes en Colombie Britannique, en Alaska, et dans des studios réfrigérés jusqu'à - 30° au cœur même de Los Angeles !
Et si sur le fond le réalisateur affiche des choix draconiens, il n'en néglige pas pour autant la forme, et s'est entouré  de techniciens hors-pairs : son directeur de la photographie habituel Dean Cundey, Todd Ramsay son monteur de "New-York 1997", le vétéran John Lloyd à la direction artistique, Ennio Morricone à la musique, et le trio de choc Rob Bottin/Roy Arbogast/Stan Winston aux effets spéciaux (Winston n'est pas crédité au générique, mais est l'auteur, avec son équipe, de la transformation du chien). Si "The thing" est aujourd'hui encore considéré comme un classique de l'épouvante, c'est aussi grâce à cet emballage aux allures de blockbuster, magnifié par les cadrages en cinémascope (le format fétiche de Carpenter et sa marque de fabrique même) absolument parfaits.
Le casting est également au diapason, Carpenter ayant embauché une belle brochette d'acteurs rompus à l'exercice du second rôle pour entourer un Kurt Russell impérial. A noter qu'il est très rare d'avoir un casting entièrement unisexe dans un film, la seule présence féminine du métrage étant la voix d'Adrienne Barbeau (alors épouse du réalisateur) utilisée pour le jeu d'échec électronique de McReady.

Sorti le 25 juin 1982 (le même jour que le "Blade Runner" de Ridley Scott, également un gros échec financier et public), soit 2 semaines avant l'autre film d'extra-terrestre de l'été, le "E.T." de Steven Spielberg, "The thing" ne rencontra hélas pas le succès escompté. Mal reçu par les critiques et le public, il sombra vite au box-office et peina à rembourser son budget de 15 millions de $ (auquel il faut rajouter le budget marketing). Carpenter sut rebondir immédiatement à ce fiasco en tournant pour des majors "Christine", "Starman" (qui met en scène à nouveau un extra-terrestre, mais cette fois-ci bienveillant) et "Jack Burton dans les griffes du mandarin", puis en retournant dans le giron des producteurs indépendants pour des œuvres toujours fantastiques et horrifiques, mais plus personnelles '"Prince of darkness", "They Live", "In the mouth of madness".

30 ans plus tard, le film est devenu un classique incontesté du genre et un des films les plus connus de son auteur, réévalué à la hausse par ceux qui l'avaient tant décrié à sa sortie; il trône désormais dans le top 5 des films d'horreur les plus marquants de l'histoire du cinéma.
Preuve de son indéniable reconnaissance aujourd'hui, une préquel racontant les évènements de la base norvégienne a été tourné en 2011. Un film qu'il n'est vraiment pas nécessaire de visionner, tant l'exercice relève plus du faux remake raté et opportuniste que du véritable dérivé qu'il prétendait être. 


Le bluray édité par Universal est somptueux, affichant une image précise et une piste audio 5.1 Dts d'un dynamisme effrayant. Tous les bonus de l'édition spéciale sortie en DVD sont repris à l'identique, et en vost-fr : le commentaire audio de Carpenter et Russell, un making-of complet de presque 90 minutes, des scènes coupées et un grand choix de storyboards et d'archives. Un "must-have" pour les fans du film !



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