BLURAY : L'ÎLE SANGLANTE de Michael Ritchie
Acteur
depuis le milieu des années 50, Michael Caine a plus de 150 films à
son actif; on y trouve de tout : des chefs-d’œuvre inoubliables ("Le
Limier" et "L'homme qui voulut être roi" en têtes), de jolis nanars
("Jaws 4"), et pas mal de séries B très honnêtes, dont ce "The Island". A
la fin des années 70, il se voit pressé par son manager et ses avocats
de renflouer très vite son compte en banque dans le rouge; aussitôt dit,
aussitôt fait, et Caine pioche immédiatement dans la pile de scénarios
posée sur son bureau. Il tourne d'affilée deux films avec Irwin Allen,
maitre incontesté du film-catastrophe alors en fin de carrière :
"L'inévitable catastrophe" et son invasion d'abeilles tueuses, et "Le
dernier secret du Poseidon", suite inutile du film de Ronald Neame, (ou
il remplace au pied levé Burt Reynolds, qui a fait faux bond à Allen
quelques jours avant le début du tournage). Toujours pas financièrement à
l’abri, il signe illico pour 2 nouveaux films alimentaires : "Ashanti"
de Richard C. Sarafian (qui sera viré au tout début du tournage en
Afrique, et remplacé par Richard Fleisher), et cette "Île Sanglante" de
Michael Ritchie.
Ritchie
s'est tourné vers le cinéma à la toute fin des années 60, après avoir
officié plusieurs années à la tv américaine. Ses deux premiers
longs-métrages, "La descente infernale" et "Carnage" passant inaperçu,
il accepte une commande de son pote Robert Redford, "Votez McKay". Remis
en selle par ce succès critique et publique, il tourne successivement 4
comédies avec plus ou moins de bonheur, et se retrouve à nouveau en
mal de réussite à la fin des années 70. C'est là que les producteurs
Richard Zanuck et David Brown l'engagent pour adapter à l'écran "The
Island", le nouveau roman de Peter Benchley. Les 2 producteurs avaient
révélé cet auteur en tournant "Les dents de la mer", son premier livre,
mais avaient vu leur échapper "Les grands fonds", produit par la
Columbia et réalisé par Peter Yates. Bien décidés à renouer avec le
succès, ils ont acheté les droits du troisième livre de Benchley avant
même sa parution, et souhaite lancer immédiatement le tournage.
Le
journaliste new-yorkais Blair Maynard, accompagné de son fils, se rend
dans le triangle des Bermudes afin d’enquêter sur la disparition de
nombreux navires. Kidnappés par des pirates vivants en autarcie sur une
île perdue, ils vont tout faire pour s'échapper.
Ritchie
réalise ici un thriller maritime très étonnant, à cheval sur plusieurs
genres. Parfois film d'aventure (l'avion emmenant Michael caine et son
fils Justin dans le fameux triangle des Bermudes se crashe à
l’atterrissage), parfois drame familiale (Caine se démène durant toute
la deuxième partie du film afin de sauver son fils; un fils qui se
verrait bien flinguer son propre père depuis que le chef de la tribu
pirate lui a fait subir un violent lavage de cerveau !), et même parfois
film gore : le réalisateur n'hésite pas à ponctuer son métrage de
scènes sanglantes ouvertement influencées par les premiers succès au
box-office de le la vague naissante des films de serials-killers de la
fin des années 70 (ainsi, les pirates égorgent, éventrent et torturent
en gros plans les passagers des bateaux qu'ils abordent) et chocs
(Michael Caine devient l'esclave sexuel de la seule femme-pirate capable
d'enfanter une descendance pour la tribu, et son fils flingue même un
autre gamin d'une balle entre les deux yeux).
Une
seule séquence détonne totalement et parait complètement incongrue dans
le film : alors que les pirates attaquent un bateau de plaisance, un
des passagers se défend en kickant ses assaillants avec des prises de
kung-fu ! Mixer films de piraterie et films de kung-fu, fallait oser !!!
De cette étrange mélange de genres en découle un film bâtard certes, mais qui reste une très bonne série B : David Warner fait le show en chef déglingué de tribu pirate, Michael Caine est très crédible en journaliste-aventurier, et le jeune Jeffrey Franck se défend très bien dans le rôle de son fils. Quand à la la réalisation de Michael Ritchie, elle est soignée, et très énergique quand il le faut. On sent qu'il assume complètement le film qu'il met en scène, ne se voilant pas la face sur les intentions du duo de producteurs qui ont initié le projet : "The Island" est pour eux une machine à fric tournée pour capitaliser sur le succès mondial de "Jaws" ! Lui n'est qu'un "yes man", embauché pour réaliser un métrage dans les temps et avec le budget imparti (et du reste assez confortable : un budget de 22 millions de dollars représentait une somme considérable pour l'époque !), tout en répondant à un cahier des charges bien spécifique. Mais Ritchie était connu aussi pour son humour et son cynisme, et ne se prive de rien, parsemant son film de détails incongrus et souvent drôles (ah ce pirate qui se ballade à plusieurs reprises à poil, un accessoire toujours bien placé pour ne pas trop en montrer !), et se lâche carrément dans le grand final : Caine massacre des dizaines pirates à la mitrailleuse lourde !
Soucieux d'offrir un spectacle au look classieux, le réalisateur embauche pour la seconde fois le directeur de la photographie Henri Decaë; celui-ci est une illustre figure du cinéma français, ayant travaillé avec les plus grands, dont Melville sur "Le Samouraï", Verneuil avec "Le Clan des Siciliens", Truffaut sur "Les 400 coups", Oury avec "Le Corniaud", Rabbi Jacob" et "La Folie des grandeurs". Ancien photographe de guerre, il a eu une carrière incroyable qui couvre tout notre cinéma national; elle devint même internationale quand il fut recruté par Sydney Pollack pour "Un Château en Enfer" et "Bobby Derfield", puis Franklyn J. Schnaeffer pour "Ces garçons qui venaient du Brésil". En 1980, outre "L'Île Sanglante", il photographia également "Le Guignolo", "Le Coup du Parapluie" et "Inspecteur Labavure"... Tourner avec Gérard Oury, Georges Lautner, Claude Zidi et Michael Ritchie en moins de 12 mois, voilà ce que j'appelle un des plus beaux grands écarts professionnels jamais vu, non ?!?!
Le
film doit son statut de film culte à son affiche magnifique (et
démarquage de celle de "Délivrance", le poignard remplaçant ici le fusil
du film de Boorman), ainsi qu'à sa difficulté à être vu depuis sa
sortie en salles : mis à part une vhs de location et un passage sur
canal + au milieu des années 80, impossible de voir le film en France.
Le
récent bluray allemand édité par Koch Media reprend le master sorti par
Scream Factory aux États-Unis fin 2013 (et qui est lui, zoné "A" donc
incompatible avec les lecteurs européens) : l'image est superbe et rend
complètement justice aux superbes images de Decaë; le son, bien
qu'annoncé en Dts 2.0 sur la jaquette, est en Dts HD Master Audio 5.1,
offrant une belle dynamique et faisant la part belle à la musique
d'Ennio Morricone.
Contrairement
au pressage américain qui ne comporte aucun bonus, ce pressage
germanique propose, outre 2 bandes-annonces, un bonus particulièrement
original : la version Super-8 allemande. Avant l'avènement des
magnétoscopes, les films étaient vendus sous ce format, soit sur
plusieurs bobines afin d'avoir la totalité du métrage, soit dans un
montage condensé; ainsi, la version proposée ici a une durée de 32
minutes. Un supplément vraiment fun qui est aussi une bonne surprise
pour les cinéphiles complétistes !
La bande annonce :
https://www.youtube.com/watch?v=TS6zbGPPL18
Ici le visuel de la vhs éditée par CIC :
Ici les visuels des 2 boites Super-8 proposant le film en version intégrale :
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