BLURAY : ASSAUT de John Carpenter

Pour aller droit au but, "Assault On Precinct 13" est mon film préféré !

Je l'ai vu plus d'une vingtaine de fois, l'ai acheté sur tous les supports, et le regarde au moins une fois par an...Le film n'est pas sans défaut , mais le plaisir que j'y prend à chaque fois les gomme systématiquement.

Au début des années 80, il n'y avait pas des masses de moyen de voir des films : le ciné, la télé (3 chaines gratuites et Canal +), et le vidéo-club. Mes parents avaient acheté un magnétoscope et s'étaient inscrits dans un vidéo-club près de chez nous; la quantité de films n'étaient pas énorme, mais on trouvait largement de quoi se rassasier dans les quelques dizaines de vhs disponibles, et ça contrebalançait largement la programmation télévisuelle de l'époque qui me convenait moyennement . Un jour que je discutais avec le proprio, il m'a conseillé de louer "Assaut" (25 francs pour 24h, avec obligation de rembobiner la cassette sous peine de prendre une amende de 5 francs !). Je connaissais déjà Carpenter pour avoir vu et adoré "The Thing" en salles, un film qui devennait pour moi le maitre-étalon des films d'horreur. J'ai écouté les précieux conseils du gars...et n'ai jamais eu à le regretter !

"Assaut" est le premier film professionnel de Carpenter; après des études de cinéma à l'USC de Los Angeles (et, on l'oublie ou l'ignore souvent, après avoir gagné un oscar du meilleur court-métrage pour "The Resurrection Of Broncho Billy"), il reprend son moyen métrage de fin d'études, "Dark Star", et tourne 30 minutes de scènes supplémentaires afin de le rallonger et d'obtenir une distribution en salles. Le succès est minime, mais il deviendra culte quelques années plus tard en bénéficiant du succès de ses films suivants). Il bosse un peu comme monteur, et arrive à placer quelques scénarios chez des majors, dont "Les Yeux de Laura Mars" et "Zuma Beach", qui seront tournés quelques années plus tard. Contacté par un investisseur prêt à lui filer 150 000$, il obtient carte blanche pour tourner enfin son premier long-métrage.

Son film préféré étant "Rio Bravo", il pense tout d'abord à en tourner une suite, mais le western n'ayant plus autant de succès que dans les décennies précédentes, il se rabat sur un fait divers du tout début des années 70 : le siège d'un commissariat de quartier par des loubards; très vite écrit, sous le titre "The Anderson Alamo", le film reçoit le feu vert.

Il engage quelques acteurs qui courent les castings à la recherche de petits rôles (dont Henry Brandon, le mémorable chef indien Scar de "La Prisonnière du Désert", et Austin Stocker, qui commence à percer depuis son second rôle dans "La Bataille De La Planète Des Singes", dernier volet de la saga), mais trouvera en son voisin de palier, Darwin Joston, l'interprète idéal de Napoléon Wilson, le héros bad-ass du film. Pour ne pas flinguer son budget extrêmement bas, Carpenter recrute des étudiants de l'USC pour jouer les assaillants, mais à l'idée de créer un petit buzz autour de son film en engageant Kim Richards, une enfant-star de chez Disney, pour jouer le bref rôle d'une fillette salement abattue par le gang en début de métrage.

Le film est tourné essentiellement en studio (en 20 jours) début 1976; Carpenter, à court d'argent, composera la musique (improvisée au synthé en 3 jours) et fera le montage (en utilisant un pseudonyme, John T. Chance, le nom que portait John Wayne dans "Rio Bravo"). Un montage qui ne passera pas la censure américaine; jugé trop violent, le film reçoit la classification X, lui interdisant une sortie même confidentielle en dehors du circuit porno ! Le réalisateur retourne en salle de montage et ôte 2 séquences afin d'obtenir un "R" plus commercial : le pacte de sang des loubards (pourtant visible dans la bande annonce d'époque...Un comble !) et le meurtre ultra graphique de la fillette. Il en profitera également pour obtenir une rallonge budgétaire et tourner une introduction au film, afin de le dynamiser (le massacre par la police d'une partie du gang).

Un distributeur indépendant, CKK, accepte de le distribuer, mais uniquement en modifiant le titre, jugé peu commercial : "Assault On Precinct 13" sort dans un petit circuit de salles fin 76, mais ne rencontre pas le succès escompté; il sera largement redécouvert dans le monde entier quelques années plus tard, grâce au culte dont bénéficiera Carpenter avec les cartons de ses œuvres suivantes : "Halloween, "Fog" et "New-York 1997". C'est en 1978 que le film sortira en France, interdit aux moins de 18 ans car jugé ici aussi trop violent (il fut même dans un premier temps totalement interdit, le comité de censure de l'époque estimant que le métrage manquait de respect envers les forces de l'ordre, qu'elles soient françaises ou étrangères !!).

Carpenter montre ici toute l'étendue de son talent, et surtout la maitrise de son art. Qui penserait en le découvrant que c'est un premier film ?

Le réalisateur, avec un scénario relativement basique et de faibles moyens, a choisi de se concentrer uniquement sur l'essentiel, soit donner à son métrage un rythme soutenu (passée la présentation des personnages importants, et dès lors que le père a vengé le meurtre de sa petite fille et s'est réfugié dans le commissariat, on ne souffle plus un seul instant), et utiliser tout son savoir-faire et sa maitrise du cadrage (en cinémascope, son format de prédilection) et de la musique (dès le générique, la musique donne au métrage ce tempo faussement lent, et accentue la tension générale du film).
Bien que très jeune dans le milieu (et très jeune tout court, le gars n'a que 26 ans au moment du tournage !), Carpenter possède déjà un style unique, chainon manquant entre le cinéma de son idole, Howard Hawks, et celui de ses contemporains (Romero en tête)

Pour moi, le seul point "faible" concerne l'interprétation : tous les acteurs ont un jeu assez froid, voir monolithique, qui peut en agacer certains. Certes, il a du composer avec un très faible budget, et donc ne pouvait pas se permettre d'engager la crème des acteurs locaux, mais peut-être a-t-il aussi choisi délibérément ce style de jeu. Carpenter a souvent déclaré s'être inspiré de "La Nuit Des Morts-Vivants" réalisé par Romero, et effectivement les 2 longs-métrages semblent jumeaux. Outre bien entendu le thème du siège et l'unité de lieu et de temps, les zombies de Romero et les "warlords" de Carpenter sont identiques : un groupe d'individus mutiques, déshumanisés et impassibles (même dans la mort) qui sans cesse se rue sur une bâtisse pour en détruire les occupants qui s'y sont réfugiés.

Avec cette première œuvre, Carpenter a pausé durablement les bases de son cinéma; simple (mais pas simpliste!) et direct, tel un uppercut cinématographique, "Assaut" mérite amplement le statut de film culte dont il jouit aujourd'hui. De nombreux réalisateurs (dont Christophe Gans, Nicolas Boukrief, Gareth Evans, Robert Rodriguez) l'ont cité dans leurs listes de films favoris, et il sera même remaké 2 fois : en 1983, officieusement, sous le titre "The Siege" par le réalisateur canadien Peter Donovan, et plus officiellement par Jean-François Richet en 2005.

2 bluray diffusés en Europe sont indispensables pour les fans (avec les séquences censurées réintégrées depuis les années 90) :

• le pressage française édité par Metropolitan est très bon : la bande son est formidablement retravaillée en Dts 5.1 HD master audio (mais est également disponible dans son mix d'origine en 2.0 pour les puristes) et l'image respecte le grain d'origine. On y retrouve les bonus des éditions dvd précédentes : un commentaire audio,  des interviews de Carpenter et Austin Stocker, et un doc de 15 mns sur le tournage.

• le pressage allemand 3 disques édité par Capelight : le bluray, le dvd et une galette bonus. Ce pressage (vo avec sous-titres anglais optionnels) est supérieur au français, tant pour l'image, plus fidèle aux couleurs d'origines, que pour le son (à noter que la musique diffère plusieurs fois sur la bande son allemande; Carpenter avait revu sa copie, rajoutant des plages musicales absentes à l'origine). On retrouve les suppléments déjà disponibles sur l'édition française, mais la troisième galette est un documentaire indispensable (et exclusif à cette édition limitée) jadis diffusé sur Arte, "Do You Remember Laurie Zimmer", réalisé par Charlotte Szlovak : 20 ans après avoir perdu de vue l'actrice principale de "Assaut", Szlovak part à sa recherche afin de comprendre pourquoi elle a brusquement décidé de mettre fin à sa carrière, après seulement 4 films.

La bande annonce :
 https://www.youtube.com/watch?v=BaJR2zlnp7o